À travers an-Art-KEY, j’ai tenté de connecter plusieurs éléments clés de mon parcours : mes années punk, ado, la découverte du mouvement Beat – grâce à Burroughs -, une passion qui ne cesse de grandir pour le chaos social et artistique du XXe siècle (le Futurisme, Dada, Fluxus…), le collage, visuel et sonore, l’art du détournement, le minimalisme… J’ai tenté de connecter tout cela à travers un prisme éminemment subjectif, a-chronologique, interdisciplinaire (création visuelles, bande-son, scénographie…), etc.
Cette installation constitue donc à la fois une recherche historique et personnelle, une forme d’introspection, un cri du coeur, une oeuvre volontairement imparfaite et D.I.Y évolutive. Et tellement plus encore!
« Nous vivions une époque non de sentiers battus, mais – s’il fallait trouver une métaphore fluviale pour représenter le temps – je dirais que nous arrivons à un estuaire en forme de delta, et même, au-delà, à un océan qui retournerait vers le ciel. » John Cage, KPFA Radio, 1992.
an-Art-KEY est un dispositif pluriel mêlant images, sons, scénographie établissant une ligne du temps a-chronologique des icônes majeures de la « contre-culture » durant le XXe siècle (Futuristes, Dada, Fluxus, Beat Generation, International Situationnisme, Punk…).
Une narration fragmentaire de ce parcours louvoyant, balisé de bruits et de fureur, prend comme point de départ le Futurisme et comme point d’arrivée la première vague Punk.
Visuellement, cette voie / voix ludique repose sur un un audio-collage polyphonique et fragmentaire donnant la parole aux principaux acteurs de ces tonitruantes flibusteries intellectuelles, accompagné par des détournements de visuels issus des mouvements précités, avec l’accord de plasticiens tels que Kiki Picasso, Gee Vaucher (C.R.A.S.S.), Throbbing Gristle, The Residents… soit des stencils, photocopies, graffitis, détournement, etc. mis sous cadres.
Un oeuvre de Gauthier Keyaerts (collages, scénographie, sound design / audio collage, recherches d’archives).
Production : Gauthier Keyaerts / Transcultures.
Je ne résiste pas à l’envie de partager un extrait de texte rédigé par Philippe Baudelot, consultant artistique, curateur.
« An-Art-KEY, tout cela n’a rien de personnel. Tout cela l’est complètement.
Tombeau, poème, pièce musicale baroque, hommage à un personnage, un maître, un ami disparu, explorant longuement ou d’un mot les méandres de son œuvre. Le genre, si l’on excepte ces deuils réifiés et tant adulés par notre société spectaculaire qui n’en peut mais, ne semble plus de notre époque. Même un peu solennel, il se pose en hommage aux vivants et refuse l’hystérie emblématique de notre civilisation boulimique de paroles.
D’une manière résolue, an-Art-KEY, s’inscrit dans la lignée de ces ouvrages démodés, en écho de leurs écritures, comme une réverbération éclatée, non une copie, encore moins un pastiche (…) Elle ne revendique pas un savoir. Elle tisse des allusions adressées à des sens qui s’y perdent.
Installation ou cénotaphe ? L’ensemble donne à pencher ironiquement vers la seconde solution. L’espace et la matière proposent la première. Le crucifix de vinyles luisants et noirs, ouvre sur un doute. Qui s’y cloue? Qui compte et cherche ? Les encadrés proposent de deviner, peut-être réservés aux initiés mais ouverts à tous, pas toujours simples à décrypter. Le son agit comme un lien qui n’aurait rien à y entendre, construisant une cohérence spatiale sombre, quelques allusions vécues comme les matériaux d’autre chose, autant d’invites au tapis central et à ne plus voir qu’une écoute. Au fond, nous sommes très loin de ceux à qui il est explicitement rendu honneur dans le cartel de l’oeuvre. D’ailleurs, estime y a-t-il ? On demeure dans le doute compris par nos tympans oculaires, tels des poules devant un comptoir de Mac Donald. On se délecterait de leur trouble comme du nôtre.
an-Art-KEY regarde ces mouvements qui ont traversé le dernier siècle. De dada à la beat génération, aux situationnistes et aux punks. Des mouvements dont on sait qu’ils ont ponctué, à quelques endroits fait, ce siècle et dont ne demeure aujourd’hui, à l’esprit du plus grand nombre, que des citations tronquées, reprises par des intellectuels en mal d’imaginaire et les statuts de Facebook. Mais de ces mouvements, peu ont vraiment lu, vu ou entendu les textes, images et autres sons qui en sont nés.
(…) L’installation vaut d’abord par elle-même. Elle est bien un tombeau, un cénotaphe mais pas vraiment de ce sur quoi elle s’appuie, même si elle y renvoie constamment. Même cercueil, elle est du côté du vivant. Ce qui y frappe, c’est que c’est au visiteur qu’elle se réfère et au lien qu’il peut y entendre avec l’auteur. Nul besoin de culture pour s’y trouver, nul besoin de ces « cultures » auxquelles elle se réfère et qui n’en ont jamais vraiment été (je déteste cet emploi du mot culture pour lui préférer ceux de mouvement, de remous, d’émanation). an-Art-KEY est en elle-même l’expression d’un bouillonnement et peu devrait m’importer les rochers qui l’ont provoqué. Du tourbillon, elle à le son et l’écho qui crée le son, elle a les éclats de lumière, les mots qui sourdent comme au hasard, les images qui ne doivent plus rien à leur origine. »